Copyright 2004 Le Figaro
All rights reserved

Le Figaro

28 octobre 2004

RUBRIQUE: Culture & Spectacles

LONGUEUR: 456 mots

TITRE: Vieille avant-garde

AUTEUR: La critique de Jacques Doucelin

TEXTE-ARTICLE:


Ça sent la vieille Anglaise un peu rance. Ce Shadowtime ( L'Heure du crépuscule ) signé du librettiste Charles Bernstein et du compositeur britannique Brian Ferneyhough, 61 ans, et donné en création française par le Théâtre Nanterre-Amandiers et le Festival d'automne, est une musique datée. A commencer par l'ouverture digne d'un élève au cours de Darmstadt d'il y a quarante ans. Bon sang ne saurait mentir : Ferneyhough sait écrire pour le choeur utilisé ici dans toutes ses combinaisons. Bravo aux Neue Vocalsolisten de Stuttgart à l'engagement exemplaire malgré les salopettes bleues de garagiste et les tignasses poil de carotte dont les a affublés Olga Karpinsky ! Le sujet est pourtant intéressant : il s'agit du suicide du philosophe allemand Walter Benjamin dans sa chambre d'hôtel à la frontière franco-espagnole en 1940 pour échapper à la gestapo. Tel est le point de départ de cette interminable soirée. La suite, en effet, s'ingénie à «déconstruire», le compositeur grappillant dans l'oeuvre et le passé de Benjamin avec pour seul souci que n'émerge jamais l'esquisse d'une action dramatique : variation intello sur des tranches de philo. On imagine ce qu'un vrai homme de théâtre comme Daniel Mesguich eût inventé pour recoudre ce fil discontinu et unifier la soirée. Rien de tout cela chez son jeune collègue Frédéric Fisbach qui joue la discontinuité et le morcellement grâce aux petits praticables roulants du décorateur Emmanuel Clolus. Après quelques jolies utilisations d'ombres chinoises, on reste confondu par l'affichage sur le fond de scène du tableau des horaires de la gare du Nord ! Enfantillages ? Peut-être comme ces figures découpées dans du carton rouge évoquant avec une redondance mâtinée de simplisme, les personnages historiques cités par le texte, d'Einstein aux Marx - Karl et Harpo ! - en passant par Hitler vociférant.

Dans l'ultime et septième scène où le choeur est accompagné par une bande électroacoustique, ces panneaux seront retournés sur le plateau vide comme celui d'une fête scolaire. Une fête triste. Heureusement, il y a quelques épisodes musicaux bien venus comme les Froissements d'ailes de Gabriel confiés à la peu ibérique guitare solo de Mats Scheidegger après la première scène, ou l' Opus Contra Naturam ( Descente aux enfers de Benjamin ) triptyque grinçant à la Kagel où l'on voit un excellent pianiste, Nicolas Hodges, s'accompagner dans un mélodrame haut en couleur. Car chez lui, l'acteur vaut le pianiste. Mais une hirondelle ne fait pas le printemps et s'il y avait eu un entracte, il y a fort à parier qu'on ne serait pas resté très nombreux jusqu'au bout à en juger par la rapidité avec laquelle le public s'est enfui à la fin et par la froideur de ses applaudissements.

DATE-CHARGEMENT: 28 octobre 2004